Pelourinho : le cœur battant de Salvador de Bahia
Il y a des endroits sur cette planète où l’âme semble s’accrocher aux pavés. Des quartiers où l’Histoire s’entremêle au tambour des ruelles, où chaque façade chante une mémoire. Le Pelourinho, cœur historique de Salvador de Bahia, est de ces lieux. Perché sur les hauteurs de la ville, entre ciel azur et collines ondoyantes, ce quartier afro-brésilien vibre d’une énergie qui touche à l’intime.
Ici, les couleurs claquent comme une toile de maître : bleus profonds, jaunes chauds, roses tendres, murs écaillés par le temps. Chaque coin de rue semble attendre qu’on vienne y dérouler une batucada ou lancer quelques pas de samba. On y déambule sans cartes, l’œil curieux, les sens ouverts, bercé par l’odeur d’acarajés fumants et le rythme des percussions ancestrales.
Mais au-delà du charme pittoresque, Pelourinho raconte aussi l’histoire douloureuse d’un peuple arraché, déporté, mais debout. Il est à la fois musée à ciel ouvert, temple de résistance, et scène vivante d’une culture afro-brésilienne plus vibrante que jamais.
Un peu d’histoire en marchant
Pelourinho signifie littéralement « pilori » — ce poteau sur lequel on punissait autrefois publiquement les esclaves. Le nom claque dans la bouche comme un rappel brutal. Car Salvador fut, des siècles durant, le principal port d’arrivée des esclaves d’Afrique vers le Brésil. Là où les navires négriers déposaient leur cargaison humaine, là où commençait la lente naissance d’une résilience farouche.
Bâti par les colons portugais au XVIe siècle, le centre historique regroupe aujourd’hui une densité impressionnante d’églises baroques, de demeures coloniales et de petites maisons colorées. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le quartier a connu une rénovation ambitieuse dans les années 1990 après des décennies de délaissement. Une mue nécessaire, bien que parfois critiquée pour ses effets de gentrification, au regard de l’âme populaire du lieu.
Chaque rue de Pelourinho est une archive vivante. Quand on arpente ses pentes bordées de maisons à balcons ouvragés, on sent le pouls de cette ville jadis capitale du Brésil et premier siège de l’administration coloniale. Un passé écrasant, mais ici transcendé entre art, musique et foi.
Les incontournables à découvrir
Il serait tentant de simplement flâner, sans destination, en se laissant guider par les tambours ou l’odeur du café torréfié. Et, sincèrement, c’est une méthode tout à fait valable. Mais voici quelques haltes à ne surtout pas manquer lors de votre escale à Pelourinho — un peu comme les repères d’un voyage dans le voyage.
- L’église São Francisco
Sa façade sobre cache un intérieur à couper le souffle. Dorures à profusion, angelots potelés et bois sculptés recouvrent chaque recoin. Ce baroque colonial est presque irréel tant il regorge de détails. Pour certains, c’est l’une des églises les plus richement décorées au monde. - La fondation Jorge Amado
Installée dans une maison bleue pimpante, cette fondation rend hommage à l’écrivain brésilien, natif de Bahia, dont les romans sont une déclaration d’amour à la culture populaire, à la sexualité libre et aux croyances syncrétiques de la région. On y découvre des manuscrits, des photos, et l’esprit bohème qui l’animait. - La maison do Olodum
Olodum, c’est bien plus qu’un groupe de percussions : c’est une institution, un creuset de conscience noire, un cœur battant. Leur maison est à la fois un centre culturel, une école, et parfois une mini-scène où des répétitions endiablées ont lieu. Si vous avez la chance de croiser leurs rythmes sur votre route, préparez-vous à vibrer jusque dans les viscères. - Largo do Pelô
Grande place emblématique, bordée de façades pastel, le Largo do Pelourinho est le centre névralgique du quartier. Il accueille concerts improvisés, fêtes populaires, enfants qui jouent à la capoeira. Il y a dans l’air du Largo quelque chose d’indomptable. On s’y pose pour boire une bière bien fraîche ou un jus de cajou, et puis on oublie le temps. - Le Musée Afro-Brésilien
Installé dans l’ancien bâtiment de la première école de médecine du Brésil, ce musée est une véritable immersion dans les cultures africaines qui ont irrigué la culture bahianaise. On y découvre les divinités du candomblé, masques, instruments, textiles et récits transmis de génération en génération.
Plonger dans les sons et saveurs de Bahia
À Salvador, les oreilles mangent autant que la bouche. Les rythmes y précèdent la parole. Sur les marches d’une église ou à l’ombre d’un figuier, il y a toujours un tambour, un pandeiro ou une voix qui s’élève. À Pelourinho, la musique ne s’écoute pas, elle se vit. C’est dans les veines, dans les pieds, dans la poitrine.
Même après trente ans, la mémoire collective garde un pied figé sur le clip envoûtant de Michael Jackson dans They Don’t Care About Us, tourné dans ces ruelles. Et depuis, le quartier n’a jamais vraiment quitté le rythme.
Côté gustatif, préparez vos papilles à un bal sans demi-mesure : acarajé brûlant garni au vatapá (une purée d’arachide, crevettes et manioc), moqueca de poissons dans sa sauce onctueuse à l’huile de dendê, cocadas fondantes vendues en bord de trottoir… La cuisine afro-bahianaise est un poème épicé, riche, généreux, parfois brutal pour notre palais européen, mais ô combien addictif.
Rencontrer, écouter, ressentir
L’un des plus beaux cadeaux que Pelourinho puisse offrir, c’est sa capacité à provoquer la rencontre. Pas une rencontre touristique, mais bien humaine. Un vieil homme qui vous parle d’un carnaval d’autrefois, une marchande qui vous fait goûter ses patates douces caramélisées, un danseur de capoeira qui vous initie au ginga. Chacun ici est à la fois gardien du passé et bâtisseur du présent.
Si vous avez le temps, assistez à une cérémonie de candomblé (avec respect et discrétion). Cette religion afro-brésilienne issue du syncrétisme entre cultes africains et catholicisme y est encore très pratiquée. C’est une expérience profondément spirituelle, brute, sensorielle, qui, même de l’extérieur, saisit l’âme.
Plus qu’une case à cocher sur un itinéraire brésilien, Pelourinho est un tremblement. Celui qu’on ressent dans le ventre quand la beauté, la souffrance et la joie se rencontrent au même endroit. On en repart imprégné, un peu secoué, les pieds dansants et l’âme gonflée d’humanité.
Quelques conseils de navigation urbaine
- Visitez en journée: Si le Pelourinho s’anime parfois le soir, visiteurs et locaux vous conseilleront généralement d’y circuler surtout de jour, notamment si vous êtes seul(e). Beaucoup de rues sont surveillées, mais des précautions s’imposent comme dans tout centre historique d’une grande ville sud-américaine.
- Chaussures confortables obligatoires: le pavé est irrégulier et ça grimpe. Prévoyez vos chaussures les plus praticables… et laissez les tongs à la plage.
- Marchandage soft: dans les petites boutiques d’artisanat ou aux étals de rue, vous pouvez négocier, mais faites-le avec humour et bienveillance. Rien ne vaut un sourire pour entamer une conversation sincère.
- Curiosité respectueuse: photographier une cérémonie de rue, un musicien ou un autel ? Demandez, toujours. Ici comme ailleurs, mieux vaut écrire avec les yeux qu’avec l’objectif brut.
Quand l’histoire danse encore
À Salvador, l’histoire ne se lit pas dans les livres, elle se danse. Elle se tisse en habits de fête, se chante sur les percussions d’un bloc afro, s’écrit à l’huile de palme et aux pigments du cuir. Pelourinho est cette mémoire vivante d’un peuple meurtri mais vibrant, ce cœur battant d’une culture afrolatine méconnue et pourtant vitale.
Il y a là-bas un vent un peu diffracté, un son dans les pierres, une fibre dans l’air. Quelque chose qui vous murmure : ici, même les murs dansent encore.

