Marcher de Bordeaux à Saint-Jacques-de-Compostelle, c’est bien plus qu’un simple trajet pédestre : c’est une traversée de l’âme, un voyage intime qui serpente entre les vignes ondulantes du Bordelais, les plateaux secs du Sud-Ouest, et les ruelles pavées de Galice. Des pas qui résonnent sur les chemins anciens foulés depuis des siècles, entre le murmure des clochers romains et les chants des vendanges. Une aventure de plusieurs centaines de kilomètres, au rythme du cœur et des semelles.

Pourquoi partir à pied vers Compostelle depuis Bordeaux ?

On pourrait commencer à Paris, au Puy, ou même au Cap Nord si le cœur en dit. Mais Bordeaux, c’est ce carrefour singulier, entre pierre blonde et vin rouge, entre lumière océanique et promesses méridionales. C’est une porte sud pour le pèlerin, baignée par la Garonne, déjà bercée par une certaine douceur, qui annonce les paysages changeants du Sud-Ouest. C’est aussi, historiquement, l’un des croisements majeurs du chemin de Saint-Jacques en France, via la voie de Tours — ou Via Turonensis pour les latinistes du bitume.

Mais si l’on vous le dit franchement, c’est surtout que ce chemin-là, celui de Bordeaux à Saint-Jean-Pied-de-Port (et plus loin, en Navarre et Galice), regorge de beautés insoupçonnées et d’émotions par brassées entières. Pas besoin d’être croyant, juste curieux, un brin contemplatif, et bien chaussé.

Le chemin en chiffres (même s’ils ne disent pas tout)

  • Environ 300 km de Bordeaux à Saint-Jean-Pied-de-Port
  • Ajoutez 780 km pour rallier Saint-Jacques-de-Compostelle en passant par le Camino Francés
  • En moyenne 25 km de marche par jour, soit 6 à 8 semaines de voyage selon votre rythme
  • Des dizaines de villages traversés, une multitude de fromages testés, et quelques ampoules (ou leçons d’humilité, c’est selon)

Une symphonie de paysages : de la vigne à la montagne

Au départ de Bordeaux, on flâne sous les arches médiévales, on hume une chocolatine chez le boulanger du coin (oui, ici on dit chocolatine…), puis l’on quitte le gris des grandes artères pour suivre les vignes du Médoc ou les forêts des Landes girondines. Le choix de l’itinéraire est vaste, mais une constante demeure : on marche parmi les paysages vivants.

La région d’Entre-deux-Mers offre un puits de poésie entre bastides perchées et rivières indolentes. Le vin blanc ici ne rivalise pas avec celui de Sauternes, mais il arrose bien des soirées de pèlerins dans de petites auberges qui savent raconter des histoires. Puis vient le Bazadais, encore rural, authentique, un air de chalossaise dans l’assiette, avec des ripailles à base de canard confit et de pain grillé nappé de graisse. On sent que les gens vivent près du sol, et ça, c’est beau.

Le cœur du Pays Basque se dévoile timidement, lorsque les maisons blanches aux volets rouges commencent à parsemer les collines. Saint-Palais, Ostabat, et enfin, majestueuse et suspendue entre ciel et pierre, Saint-Jean-Pied-de-Port. Portail mythique du Camino Francés, où l’on croise des pèlerins venus du monde entier, l’œil brillant et les pieds fatigués. À partir de là, l’Espagne tend les bras, comme un vieux compagnon d’étape.

Sur les traces des anciens

Le chemin est émaillé de symboles, de coquilles sculptées sur les murs, de croix patinées par les siècles, de clochers romains qui tintent entre deux bourrasques de vent. On marche dans les pas des voyageurs du Xe ou du XVe siècle : soldats repentis, marchands de tissus, courtisanes en fuite et rois en pénitence. L’histoire suinte dans les murs d’abbayes comme à La Réole, à Saint-Sever ou à Moissac.

Et parfois, entre deux chants d’oiseau et un vieux pont de pierre, on croise quelqu’un. Un vigneron qui vous montre fièrement ses rangs de cabernet, un couple qui tient un gîte depuis trente ans avec la foi d’un bon curé, un enfant qui demande si vous êtes un vrai pèlerin ou juste un type à sac à dos bizarre. Les vrais trésors ne sont pas toujours sculptés dans le calcaire.

Le Camino Francés : immersion espagnole à partir des Pyrénées

Passer les Pyrénées par le Col de Roncevaux, c’est sans doute l’un des moments les plus mémorables du parcours – aussi bien physiquement que symboliquement. Une montée qui vous rappelle que les jambes sont bien vivantes, suivie d’une panoplie de rencontres dans les refuges espagnols. Ici, la Galice est encore loin, mais le cœur est déjà ailleurs.

Traverser la Navarre, la Rioja, la Castille, c’est comme ouvrir chaque jour une lettre inconnue. Des quartiers anciens de Pampelune aux tours crénelées de Burgos, des plaines à perte de vue jusqu’aux collines mouillées de pluie galicienne, le chemin devient chant, prière ou introspection selon l’humeur. Et puis, cette étincelle lorsque l’on aperçoit les flèches de la cathédrale de Saint-Jacques à l’horizon. Les derniers pas sont lourds, imbibés de fatigue, mais chaque couinement de botte murmure : « tu l’as fait ».

Infos pratiques : bien préparer son voyage

  • Quand partir : Le printemps (avril à juin) et l’automne (septembre-octobre) sont idéaux : températures douces, moins de monde, chemins praticables. Évitez l’été si vous n’aimez pas la chaleur écrasante ou la foule.
  • Hébergement : Entre Bordeaux et Saint-Jean-Pied-de-Port, on trouve des gîtes privés, des chambres d’hôtes et parfois des accueils paroissiaux. En Espagne, les « albergues » pour pèlerins sont nombreuses, certaines gérées par des municipalités, d’autres par des associations.
  • Budget : Comptez environ 20 à 40 euros par jour selon votre mode de vie. Apporter sa tente n’est pas interdit en France, mais rarement nécessaire.
  • Équipement : Une bonne paire de chaussures (déjà faites à vos pieds !), un sac à dos de 8 à 10 kg maximum, une cape de pluie, et un carnet pour noter les rencontres. Laissez la montre connectée à la maison, ici, c’est le soleil qui donne l’heure.

À chaque pas son histoire

Marcher vers Compostelle, ce n’est pas fuir le monde, c’est y entrer autrement. C’est goûter à la lenteur dans une époque qui cavale. C’est ressentir les paysages dans le moindre frémissement de feuille ou dans la courbe d’un chemin de terre. C’est dormir dans un lit inconnu, partager un repas avec un Portugais, un Italien, une Japonaise, tous jetés là, autour d’une même question silencieuse : qu’est-ce qu’on cherche, en fait ?

On ne marche pas pour arriver quelque part. On marche pour apprendre à regarder, à écouter les autres, à écouter ses pieds. Et peut-être, un peu, à s’écouter soi-même.

Bordeaux-Compostelle : un parfum de liberté

Quitter Bordeaux à pied, c’est commencer une aventure en quittant le confort du familier. C’est dire oui à l’inattendu, aux ampoules comme aux illuminations. C’est bâiller aux corneilles d’un petit matin bordelais, pour finir par rire sous la pluie galicienne, quelque part entre Melide et Monte do Gozo, un bâton de marche dans chaque main comme deux rames qui tracent un cap invisible.

Et toujours ce vent dans les cheveux, comme un souffle ancien qui souffle : avance. Encore un pas.

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