Un joyau sauvage au large de Rio
Ilha Grande. Une île au nom chantant, qui flotte dans l’Atlantique Sud comme une promesse d’aventure. À moins de quatre heures de route (et de bateau) de l’énergie effervescente de Rio de Janeiro, elle vous cueille avec une toute autre vibration. Une invitation à ralentir, à écouter le silence, à suivre les sentiers ombragés où la jungle semble chuchoter des légendes oubliées.
Ici, pas de voiture. Les chemins se parcourent à pied ou en bateau, et c’est sans doute ce qui fait toute la magie de cette île luxuriante, refuge de biodiversité et de tranquillité. Mais ne vous y trompez pas : sous ses airs paisibles, Ilha Grande cache une foultitude d’expériences à vivre, de l’adrénaline d’une randonnée sauvage à la douceur d’un bain dans une crique translucide. Allez, on vous embarque ?
Randonner dans la jungle : sur les traces d’une île rebelle
Ilha Grande est un terrain de jeu rêvé pour les amoureux de randonnée. Avec plus de 150 km de sentiers balisés traversant la forêt atlantique, chaque détour offre un tableau vivant : lianes tortueuses, perroquets bavards, singes espiègles, et senteurs chaudes de terre humide. On marche comme on plonge dans un roman d’aventure.
Le sentier le plus mythique ? Celui qui mène à la Praia do Lopes Mendes, considérée comme l’une des plus belles plages du Brésil. Deux heures de marche depuis Vila do Abraão à travers une alternance de montées boisées et de criques isolées. L’arrivée à Lopes Mendes frappe comme un uppercut : une plage de sable blanc infini, bordée de végétation, sans une construction à l’horizon. Et le murmure de l’Atlantique pour toute bande-son.
Envie de repousser plus loin les frontières ? Tentez l’ascension du Pico do Papagaio, le « Pic du Perroquet ». 984 mètres de montée pour une vue à couper le souffle sur l’île et au-delà. On démarre souvent avant l’aube, et l’arrivée au sommet au lever du soleil a comme un goût d’éternité.
Exploration aquatique : masque, palmes et lagons secrets
Qui dit « île tropicale » dit forcément fonds marins dignes d’une encyclopédie. Et de ce côté-là, Ilha Grande n’a rien à envier aux Galápagos. Les eaux turquoise de ses baies abritent une biodiversité marine d’une richesse inouïe : coraux, hippocampes, tortues marines, et parfois des dauphins curieux qui viennent jouer avec votre sillage.
Glissez-vous dans un masque et laissez-vous porter le long des récifs de la Lagoa Azul (la “lagune bleue”), accessible en bateau depuis Abraão. Si le nom semble sorti d’un film des années 80, le décor, lui, est plus vrai que nature : aquarium grandeur XXL, coraux en éventail, poissons aux reflets métalliques. Plus tranquille que sa voisine la Lagoa Verde, c’est le spot parfait pour apprivoiser ses palmes.
Et pour ceux qui vivent sous l’eau comme des dauphins, de nombreuses écoles proposent du plongée bouteilles avec des spots comme Dedo de Deus — littéralement « le doigt de Dieu » — un pic rocheux qui remonte du fond marin et dont les anfractuosités abritent des murènes et des langoustes.
À la rencontre d’un passé contrasté
Bien avant d’être un paradis pour randonneurs et plongeurs, Ilha Grande fut tout autre chose. Un repaire de pirates, une colonie pénitentiaire, un site de léproserie. L’île porte les cicatrices de ce passé avec pudeur mais ne les cache pas.
À Dois Rios, après une randonnée de 2h30 depuis Abraão (vous avez dit engagé ?), on découvre les ruines inquiétantes de l’ancien pénitencier Candido Mendes. Les cellules éventrées, le mirador rouillé, la jungle qui reconquiert peu à peu les lieux… tout ici raconte une histoire que la nature s’efforce d’apaiser, comme une cathédrale végétale érigée sur les fantômes d’hommes brisés.
Et puis il y a ces habitants, souvent descendants de prisonniers ou de pêcheurs venus s’installer après la fermeture de la prison. Leurs récits sont empreints de nostalgie et de résilience. Un soir, attablé autour d’un verre de cachaça artisanale, un vieux pêcheur m’a confié : “Ici, chaque noix de coco connaît un secret.” Devant mon regard interrogateur, il a simplement ri, la mer dans les yeux.
La vie à la brésilienne, version insulaire
Le centre névralgique de l’île, c’est Vila do Abraão, le principal village. Pas de routes asphaltées, juste des sentiers de sable, quelques boutiques aux couleurs vives, des pousadas fleuries, et des restaurants où les soirées commencent en musique et se terminent souvent les pieds dans l’eau.
On s’y perd avec bonheur entre les échoppes de fruits frais, un concert de forró sous les étoiles, ou une caipirinha glacée servie dans une noix de coco sculptée. C’est ici que bat le cœur d’Ilha Grande : entre l’odeur du poisson grillé et les rires des enfants qui jouent jusqu’à la nuit tombée.
Pour les gourmands, goûtez au moqueca de peixe (ragoût de poisson au lait de coco) dans une gargote de plage. Les meilleurs sont souvent ceux préparés par des familles locales, dans des casseroles cabossées mais pleines d’amour. Et si vous entendez parler d’un certain João qui vend des beignets de crevettes depuis sa barque au coucher du soleil, ne le ratez pas : c’est une légende vivante.
Se laisser porter… ou se dépasser
Il y a mille façons de découvrir Ilha Grande, et toutes sont valables. Certains viendront pour lézarder sur les plages comme Aventureiro ou Parnaioca, accessibles après plusieurs heures de rando ou en bateau-taxi. Ces plages isolées sont des écrins de nature brute, sans électricité, sans réseau, juste le ressac et les étoiles.
D’autres préféreront camper, tester du kayak autour des mangroves, ou encore faire le tour de l’île sur plusieurs jours, sac au dos et hamac de secours en bandoulière. Ce tour complet s’appelle la « Volta da Ilha » : une expédition de cinq à sept jours selon votre allure, entre bivouacs, surf sauvage et douches sous les cascades.
Pour ma part, c’est sur un petit voilier loué pour deux nuits que j’ai goûté le sel d’Ilha Grande le plus intensément. L’ancre jetée dans une anse déserte, une guitare éraillée, et ce sentiment rare d’être exactement là où il fallait être. Ni avant, ni après.
Informations pratiques pour larguer les amarres
Avant de vous emballer (on vous comprend), quelques infos utiles :
- Comment y aller ? Depuis Rio, bus jusqu’à Conceição de Jacareí (2h30), puis traversée en bateau jusqu’à Abraão (20 à 30 minutes).
- Période idéale ? D’avril à septembre, climat doux, moins de touristes, et peu de pluie. Décembre à mars : ambiance plus dense et tropicale.
- Hébergement ? De la pousada à la tente légère sur la plage, tout est possible. Réservez à l’avance en haute saison (Brésiliens et touristes affluent pendant le Nouvel An et le carnaval).
- Internet ? Rare. Lent. Capricieux. Prenez-le comme une bénédiction.
Ilha Grande n’est pas l’île des hyperconnectés. C’est une île où l’on prend le temps. De regarder les lucioles. D’écouter les silences. De se perdre à suivre un singe dans la canopée. Une île qui vous murmure, peut-être, que l’essentiel se cache là où on ne le cherche pas.

