Dans les méandres tranquilles du centre d’Angoulême, là où les lignes des bâtiments racontent encore les chapitres oubliés d’un passé industriel, j’ai posé mes pas rue des Lignes. C’est ici, au coin d’un trottoir qui ne paie pas de mine, que s’ouvre une porte aux arômes torréfiés, aux bulles audacieuses et aux étiquettes qui tutoient l’art contemporain. Bienvenue à la microbrasserie La Débauche – un nom qui sonne comme une promesse de transgression maîtrisée. Et croyez-moi, elle tient parole.
Une fabrique à houblon et à imaginaire
La Débauche, ce n’est pas juste un lieu où l’on brasse de la bière. C’est un lieu où l’on brasse des idées, des folies liquides, des rêves d’amertume et des chocs sucrés. Dès l’entrée, le ton est donné. Sur les murs, des œuvres graphiques envoient valser tout conformisme. Dans les cuves, des recettes baroques murmurent à l’oreille des curieux. Et dans les verres, c’est tout un monde qui pétille.
Créée en 2013 par Eglantine et Aurélien, deux amoureux du goût sans compromis, La Débauche s’est rapidement taillée une réputation dans le monde de la craft beer française. Mais attention, pas du genre tapageuse : certaines de leurs bières voyagent même jusqu’au Japon, aux États-Unis, sans jamais renier leur ancrage angoumoisin. C’est local, mais ça résonne loin.
La brasserie, nichée entre anciens ateliers et immeubles d’époque, abrite aujourd’hui plus de 40 bières différentes. Oui, quarante. Et non, ce n’est pas une faute de frappe.
Visite guidée dans un laboratoire sensoriel
Ce qui frappe d’abord, c’est le parfum : un mélange enivrant de malt chaud, de houblon frais, et d’un soupçon de caramel, comme si le ciel de Bretagne avait décidé de se déguiser en dessert boisé. Le maître brasseur me salue, un large sourire à la mousse blonde. Pour lui, chaque bière est “une tentative d’équilibre entre folie et plaisir”. J’imagine que c’est ainsi qu’un marin doit parler de ses plus belles tempêtes.
La salle de brassage est ouverte aux visites certains jours, et c’est un vrai moment d’échange. Pendant une heure, on apprend à lire un malt, à déchiffrer les profils aromatiques comme un chef lit une carte marine. Les gestes sont précis, les explications passionnées. Ici, rien n’est laissé au hasard : températures, types de levures, durées de fermentation… C’est de l’alchimie moderne, à la sauce houblonnée.
Et puis il y a leur cave, où vieillissent certaines bières dans des fûts de bourbon, de cognac ou de calvados – comme des trésors flottants dans une mer de bois. L’odeur qui y règne pourrait faire tomber amoureux un non-pinteur convaincu.
Une palette de saveurs à vous faire chavirer
Difficile de catégoriser les bières de La Débauche. Elles vous prennent par surprise, toujours. Certaines flirtent avec l’absurde, d’autres vous emportent dans une douceur sucrée presque dangereuse. Quelques-unes de mes découvertes :
Chaque bière est une surprise – et souvent une bonne claque dans le palais. Il n’y a pas de demi-mesure ici, et c’est ce qui fait leur force.
Une étiquette qui ne triche pas
À La Débauche, le contenant compte presque autant que le contenu. Chaque étiquette est une œuvre d’art. Street art, surréalisme, pop culture, comics – c’est un véritable musée miniature qui s’étale sur les canettes. Ils collaborent avec des artistes du monde entier, et on sent là encore cette volonté de tordre les normes, de créer du lien entre les formes et les goûts.
C’est sans surprise qu’ils ont même lancé leur propre galerie d’art rattachée à la brasserie : La Galerie La Débauche. Et quand vous leur demandez pourquoi cette fusion art & houblon, ils vous disent simplement : “Parce que la bière, c’est aussi une émotion visuelle.”
Un bar à la bonne franquette (mais avec des bulles)
Leur bar, accolé à la brasserie, est une escale ô combien recommandée. On y trouve 20 becs (comprendre : 20 bières à la pression), un mobilier en bois brut, une ambiance tamisée mais chaleureuse. Ici, on déguste à petites gorgées, avec des gens qui aiment parler fermentation autant que voyage. Le vendredi soir, ça discute fort, ça rigole, ça partage des adresses.
Et côté assiette, c’est souvent en mode foodtruck : burgers maison, baos, cuisine du coin ou d’ailleurs selon les invités du moment. Une belle manière d’associer la vivacité des arômes à la convivialité de la rue.
Une brasserie engagée, les deux pieds dans le malt et le cœur au vert
Ce qui me donne envie de lever mon verre encore plus haut, c’est leur position écologique claire. Tri des déchets, utilisation d’ingrédients issus de filières durables, réutilisation des drêches pour l’alimentation animale… La Débauche a conscience de son impact. Et comme tout marin responsable, elle lit les vents et anticipe les tempêtes.
Ils ne cherchent pas à moraliser, mais ils font. Et ça, ça mérite d’être bu.
Comment s’y rendre et quoi ne pas manquer ?
La rue des Lignes se trouve à une quinzaine de minutes à pied de la gare d’Angoulême. Une promenade douce à travers les ruelles colorées de la vieille ville, ponctuée de fresques murales (saviez-vous qu’Angoulême est la capitale de la BD ?). L’arrivée à la brasserie se fait presque incognito… Mais le lieu se dévoile dès qu’on pousse la porte.
Petit conseil de marin à marin(e) : ne repartez pas sans avoir testé une “frite bordelaise” si elle est à la carte du jour, passée dans une sauce maison improbable à base de bière noire. Et glissez dans votre sac quelques bouteilles inédites disponibles uniquement sur place. C’est le genre de souvenir qui parle mieux qu’un porte-clés.
Et au fond du verre…
Si un jour vos pas vous mènent en Charente et que le vent vous glisse dans l’oreille le mot “bière”, suivez-le jusqu’à la rue des Lignes. La Débauche, c’est bien plus qu’une brasserie artisanale : c’est un manifeste liquide, une ode à l’audace, une poésie houblonnée qui se savoure lentement, avec le cœur aussi ouvert qu’un pont-levis sur une rivière tiède.
Car parfois, la plus belle des aventures, c’est celle que l’on vit entre deux gorgées, l’œil un peu rêveur, les papilles affolées, et l’âme ivre de curiosité. Santé ! 🍻