Barreirinhas, un carrefour sablonneux entre jungle et mirage
Il est des lieux qui déroutent, des points sur la carte que l’on croit accessoires mais qui, une fois foulés, se révèlent centrales. Barreirinhas, modeste ville du Maranhão plantée sur les rives tapageuses de la rivière Preguiças, est de ceux-là. Située à quelques heures de route de São Luís, cette bourgade tropicale est bien plus qu’un simple point d’accès vers les célèbres Lençóis Maranhenses : c’est le seuil d’un autre monde. Un monde de dunes, de lagunes couleur émeraude et de silence sculpté par le vent.
Mais avant d’arpenter les dunes mythiques, laissez-moi vous dévoiler pourquoi Barreirinhas mérite qu’on y jette l’ancre, ne serait-ce que quelques marées.
Premières impressions : chaleur moite et sourires larges
Barreirinhas, c’est le genre de ville où l’on atterrit sans trop savoir si l’on est arrivé ou seulement en transit. Les tuktuks colorés zèbrent les ruelles en poussière, les vendeurs ambulants vous tendent des pastéis fumants ou des jus d’açai frais, pendant que les enfants pataugent tranquillement dans les bras tranquilles de la rivière. Ici, tout semble aller au rythme de la Preguiças – littéralement, la rivière des « paresseux. » Et le nom n’est pas usurpé.
À peine descendu du bus climatisé en provenance de São Luís, j’ai senti cette moiteur collante, l’appel de l’eau, et cette langueur joyeuse qui vous pousse à ralentir. Était-ce le soleil du Maranhão ou la terre elle-même qui vous invitait à la patience ?
Le point stratégique pour explorer les Lençóis Maranhenses
S’il fallait choisir une seule base pour explorer le parc national des Lençóis Maranhenses, Barreirinhas s’imposerait d’elle-même. Ville la mieux connectée, elle offre un confort logistique rare dans ce coin du Brésil encore préservé des hordes touristiques.
Départs journaliers en 4×4 vers les principaux circuits de dunes, excursions en bateau sur la rivière Preguiças, vols panoramiques en petits avions décollant depuis une piste improbable… Tout se planifie sur place, souvent la veille pour le lendemain, et souvent dans une atmosphère de négociation bon enfant.
Voici quelques options d’excursions incontournables :
- Atins : accessible en bateau par la rivière, ce village côtier fantomatique est le fin mot poétique des Lençóis. C’est ici que les dunes se jettent dans l’Atlantique avec une nonchalance désarmante.
- Lagoa Bonita : l’un des deux circuits les plus célèbres. Pour les jambes solides et les yeux gourmands de contraste : blancheur sablée et lagunes translucides à perte de vue.
- Lagoa Azul : randonnée plus douce, parfaite pour les familles ou les rêveurs contemplatifs. Les lagunes y sont légèrement plus accessibles, les couchers de soleil souvent spectaculaires.
- Survol du parc : l’expérience est courte, souvent coûteuse, mais l’émotion est immense. Voir ces vagues de dunes ourlées comme un drapeau au vent depuis le ciel, ça vous réajuste une perspective sur le monde.
Un terrain d’aventure entre air salé et sable brûlant
C’est entre deux gorgées d’un jus de cupuaçu glacé que j’ai rencontré Jorge, guide local, ancien pêcheur reconverti en conteur de dunes. « Ici, on regarde le ciel avant de sortir, pas la météo sur le téléphone », m’a-t-il glissé avec un clin d’œil. Et cette phrase m’a suivi comme un rituel silencieux.
Lors de l’ascension des dunes de Lagoa Bonita, chaque pas dans le sable plongeait mes chevilles dans une mer de chaleur. Un vent marin sali de poussière blanche me fouettait le visage, et plus je m’éloignais du groupe, plus je sentais cette symphonie étrange et aérienne, faite de rien et de tout. Le désert des Lençóis n’est pas un désert au sens classique, c’est un labyrinthe mouvant de sable et d’eau, un rêve éveillé qui change à chaque saison, à chaque averse tropicale.
Et Barreirinhas, dans tout cela ? Elle attend votre retour. Avec un plat de poisson au lait de coco ou un hamac suspendu face au fleuve pour contempler la fin du jour.
Ambiances et plaisirs terrestres
Ce serait injuste de réduire Barreirinhas à un simple tremplin. Car elle se vit, elle s’écoute, elle se savoure. Le soir venu, la Rua Inácio Lins devient le théâtre vibrant des promeneurs, des musiciens de rue et des marchands de brochettes de fromage grillé (oui, oui). Les rives de la Preguiças s’animent de rires, de conversations entre touristes crottés de sable et locaux accoudés aux barques.
Pour ceux en quête de moments simples mais vrais, quelques adresses à noter :
- Restaurante A Canoa : ambiance tamisée sur pilotis, poisson grillé au feu de bois et caïpirinha généreuse. La vue y est plus savoureuse encore que le plat du jour.
- Pastel e Cia : pour les petites faims rapides, à deux pas de la place centrale. Le pastel banane-fromage est un ovni sucré-salé qui mérite qu’on y succombe.
- Dona Graça : pension familiale à l’ombre des manguiers. Accueil comme à la maison, moustiquaire en prime et confidences sur les pluies de juin autour d’un café filtré.
Accès, saisons… et paradoxes météo
Barreirinhas se mérite, certes, mais s’atteint sans trop d’encombres si l’on est prêt à quitter le confort urbain. Depuis São Luís, des vans collectifs assurent la liaison en 4 à 5 heures via une route parfois chaotique, mais toujours spectaculaire.
Quant aux saisons, on entre ici dans une logique presque lunaire :
- Entre janvier et mai : période des pluies. Les lagunes se remplissent mais le ciel reste souvent couvert. Peu de monde, ambiance de bout du monde garanti.
- De juin à septembre : apogée des Lençóis. Les lagunes regorgent d’eau cristalline, le soleil tape dur, les visiteurs aussi. Mais le miracle paisible du lieu rend l’expérience toujours pure.
- Octobre à décembre : les lagunes commencent à s’assécher. Les paysages changent, s’étiolent, sèchent. Mais la magie devient plus introspective, plus minérale aussi.
Et oui, ce décalage permanent entre abondance aquatique et désert apparent donne aux Lençóis un souffle unique. C’est ce contraste que l’on vient chercher. Barreirinhas est l’endroit où ce souffle prend son ancrage concret, là où le vent commence à parler.
Barreirinhas, entre deux mondes
Dans le balancement du hamac, entre deux silences troublés par le passage distant d’un bateau, j’ai compris ce que Barreirinhas représentait vraiment. Ce n’est pas une simple gare de sable menant au désert mystérieux des Lençóis. C’est le sas. Le moment de bascule entre réalité et mirage. Entre routine et aventure.
Ici, les gens ne vivent pas vite. Ils vivent juste. Et dans notre frénésie moderne, c’est sans doute ça, l’exotisme le plus renversant.
Alors, si un jour vos pas vous mènent dans ce coin reculé du Nordeste brésilien, ralentissez un peu. Buvez une eau de coco à l’ombre, attendez que le vent tourne, puis mettez le cap sur les dunes. Les Lençóis vous attendront. Mais Barreirinhas ? Elle vous laissera une empreinte sablée dans le cœur.